Une genèse tératogène

Créés par Stan Lee et Jack Kirby, flambeaux de l’industrie Marvel, les Inhumains débarquent dans le comic book Fantastic Four #45 durant l’hiver 1965. La base de l’histoire est celle de la famille royale d’Attilan, une cité composée uniquement d’Inhumains, des êtres aux capacités exceptionnelles ayant subi une tératogenèse, ou altération de leur ADN, pour révéler leurs pouvoirs.

Narrant le récit de personnages Marvel et au vu de la popularité des films et séries de genre dans notre époque contemporaine, il était tout à fait logique que quelqu’un décide de porter à l’écran les Inhumains. Se basant sur le comic book d’origine, c’est Scott Buck qui se lance dans l’adaptation télévisuelle de ce pan de l’univers Marvel peu connu dans nos contrées pour les néophytes du genre.

Le créateur de la série a donc la tâche royale d’adapter cette histoire pour l’intégrer au MCU (Marvel Cinematic Universe). Ayant déjà écrit des scénarios d’épisodes pour des séries comme Six Feet Under, Rome ou encore Dexter, Scott Buck est également showrunner et producteur exécutif pour la première saison d’Iron Fist, personnage faisant partie de l’équipe des Defenders dont les séries sont en cours sur Netflix. On se dit alors que tout devrait bien se passer, surtout que les Inhumains en question ont été introduits dans la saison 2 des Agents du SHIELD.

Mais dur, dur de transposer cet univers à l’écran sans que cela soit un tantinet glissant. La série se prend donc un vent (que dis-je, un typhon) de la part des critiques et se voit annulée au bout de la première saison avec seulement huit épisodes à son actif. Est-ce justifié ? N’est-ce pas un peu inhumain ? Est-ce que le monde était prêt pour Gueule d’Or ? Essayons de décortiquer cette altération qui a causé bien des égratignures au MCU.

ATTENTION : cet article parlant de l’unique saison d’Inhumans, des spoilers sont présents

Des personnages sans voix

Remarquez le subtil clin d’œil à Black Bolt (Flèche Noire) dans ce titre. Le roi d’Attilan (Attilan étant une cité bien planquée sur la face cachée de la Lune) possède un pouvoir tout particulier ; un potentiel de destruction ÉNORME au moyen de sa voix. Histoire de ne pas tout casser à chaque parole, il est donc de rigueur qu’il conserve le silence, s’exprimant notamment avec un langage des signes qui lui est propre. Campé par Anson Mount, on peut saluer le fait de tenir tous les épisodes sans parler et de faire passer quelques émotions via son faciès. La rigidité du personnage lui apporte un charisme sympathique quoique parfois superficiel.

Mais son altesse souffre du même syndrome que tous les autres protagonistes ; un manque rigoureux de profondeur et d’intérêt. Quelques flashbacks sur le passé du tout-puissant roi d’Attilan viendront nous titiller les neurones sans pour autant jouer sur une exploitation intéressante.

Il y a son épouse, Médusa, jouée par Serinda Swan, déjà présente en femme de pouvoirs en tant que Zatanna dans la série Smallville. Ici, ce sont ses cheveux qui nous intéressent, Médusa (bien vu le nom !) pouvant les manipuler comme de véritables tentacules. Seulement, par flemme, manque de budget ou adaptation d’un arc narratif précis, nous n’aurons pas beaucoup l’occasion de voir cela à l’écran, la pauvre étant rasée dès le premier épisode. C’est con, c’était un pouvoir intéressant. Pour le reste, son comportement parfois exécrable ne nous pousse pas à l’empathie même si le ton de la reine d’Attilan reste dans les clous.

En grand méchant de cette saison, nous avons le frère de Black Bolt ; Maximus (oui, oui, ça sonne un peu comme dans Gladiator). Interprété par Iwan Rheon qui n’est autre que le sadique et terrifiant Ramsay Bolton de Game of Thrones, on voit arriver ses ambitions de méchants de James Bond à des kilomètres et on se demande comment on pourrait être convaincu. Pourtant, l’idée que la tératogenèse l’ait rendu humain était intéressante et sa relation avec Black Bolt aurait pu être un peu plus approfondie. Là encore, on est déçu.

Dans le casting principal on retrouve aussi Ken Leung jouant Karnak, un Inhumain voyant les failles de tout et n’importe quoi et devant apprendre à douter pour réussir dans la vie ; Eme Ikwuakor dans le rôle de Gorgone, possédant de puissants sabots pouvant déclencher des séismes et un humour qui lui est propre ; Isabelle Cornish est Crystal, la sœur de Médusa, maîtrisant les éléments et patronne principale de Gueule d’Or, un bouledogue de deux mètres et une demie-tonne pouvant se téléporter n’importe où ; et Ellen Woglom interprétant Louise, travaillant pour le centre de contrôle aérospatial et souhaitant plus que tout au monde aller sur la Lune.  

Dans les rôles récurrents, nous avons Mike Moh qui joue Triton, peu présent à l’écran et passablement inexpressif ; et un connu des séries pour sa participation de Desmond dans Lost, Henry Ian Cusick, ici dans le rôle d’un généticien souhaitant percer le secret de la tératogenèse des Inhumains.

Globalement, on ne s’attache pas vraiment aux personnages, mais ce n’est pas une raison pour ne pas préciser ce qui va bien avec ces derniers. La relation entre Karnak et Gorgone, exacts opposés est intéressante et fait sourire à plusieurs reprises. Crystal, bien qu’elle ait son instant « romance » avec son terrien sous une pluie d’éclairs (le coup de foudre, quoi) est un personnage relativement effacé mais qui a le mérite d’être dans une émotion certes vaporeuse mais rafraîchissante, surtout dans sa relation avec son immense chien. Ce dernier m’a d’ailleurs aussi complètement convaincu. Ben oui, un gargantuesque bouledogue qui se téléporte, ça vaut le coup d’œil. 

Attilan spécialiste dans la salle ?

Dans le MCU, ça claque au niveau visuel. Ça explose, c’est coloré, ça bouge dans tous les sens et on est happé dans cet univers de super héros. Chose impressionnante dans Inhumans ; l’épuration des décors. Le lieu où bosse Louise ne ressemble pas des masses à une antenne du centre de contrôle aérospatial (un entrepôt reconverti, peut-être), les couloirs de la cité d’Attilan ne claquent pas comme le feraient ceux d’Asgard (ce n’est pas le même monde, OK, mais quand même) et quelques effets de maquillage et de synthèse sont carrément « OUPS ».

Le générique de début à quelque chose à la fois de complètement kitsch et de fortement sympathique. Je n’arriverais pas à dire si j’aime beaucoup ou si je trouve que c’est à la ramasse, mais l’apparition à l’écran des divers symboles de la famille royale d’Attilan nous met tout de même dans un contexte super héroïque bienvenu.

Il faut cependant laisser que les personnages sont bien transposés à l’écran. Pour ceux qui connaissent le comic book d’origine, on arrive facilement à les identifier et cela est plaisant pour se mettre dans le bain. Du coup, les irrégularités de cette saison au niveau visuel, on ne sait pas trop s’il faut les mettre sur le compte d’un manque de budget ou un manque de volonté. Et il faut dire que même si certaines choses surprennent lors de leur passage à l’écran, le rendu global reste tout à fait correct pour une série de cet acabit.

Un scénario lunatique

Bon, qu’est-ce que nous avons jusqu’à maintenant ; des personnages un peu fades qui ne tendent pas à l’appréciation générale et des décors et effets sympas mais qui ternissent un peu l’aspect grandiose de la famille royale d’Attilan. Qu’en est-il du scénario, de l’intrigue, du rythme ? Je vais commencer par vous annoncer que nous avons ici le renversement d’un monarque le plus doucereux, facile et vite expédié que je n’ai jamais vu. Maximus et quelques uns de ses sympathisants jettent la famille royale dehors en deux coups de cuillère à pot et ce dès le premier épisode.

On sent déjà que tout ça va partir dans une intrigue à la Santa Barbara avec son lot de trahison et de petits problèmes de famille. Ça ne manque pas. Le but de Maximus est purement égoïste (sans blague) et il n’y a pas de sursauts d’intrigue majeurs qui pourraient justifier que l’on s’intéresse à son plan machiavélique.

La petite famille royale se trouvant exilée sur Terre, il faut maintenant se réunir pour repartir ensemble sur la Lune histoire d’aller mettre une tannée à Maximus pour sa trahison infâme. On va donc passer cinq épisodes sur Terre à suivre la famille de Black Bolt qui tente vainement de se retrouver. Quelques pics scénaristiques viennent expliquer pourquoi ça part en cacahuète (Gueule d’Or est fatigué et se trouve être moins précis ; en plus, il se fait shooter par un quad, le pauvre chien). Les enjeux en restent donc à une volonté claire de réunir la petite famille et ne possèdent donc pas d’intrigue nous faisant tressaillir les poils de bras.

La (courte) romance entre Crystal et son terrien qui se voit être l’ex-petit ami d’une vétérinaire retors ; l’arrivée de Karnak dans une zone de plantation de cannabis et on attrait pour une jeune femme qui se trouve être dans le coup ; la fascination de Louise pour la Lune et son incapacité à faire ce que son père aurait voulu faire de son vivant, tous ces moments n’arrivent pas à nous convaincre du bien fondé d’avoir un scénario cossu et complet. C’est comme si on essayait de cacher un peu la misère en nous proposant diverses intrigues qui, bien qu’elles se suivent sans mal, ne font pas mouche.  

Pourtant, les choses s’arrangent dans la seconde partie de la saison avec la confrontation entre la team Maximus (composée notamment de Auran (Sonya Balmores), Flora (Krista Alvarez), Locus (Sumire Matsubara) et le terrible Mordis (Bridger Zadina)). Cette équipe de super vilains va apporter un peu d’action et de rebondissements dans la série, notamment grâce à la personnalité des différents membres, presque plus convaincants que la majorité du casting principal. En haut du panier, Mordis, cynique, sarcastique et possédant un dédain absolu pour la vie de ses ennemis, se verrait presque piquer la place de méchant principal si les choses avaient tournées autrement.

De plus, une fois que la famille royale s’est retrouvée et que leurs états d’âme ont pu être remis à niveau, on assiste à un blocus de ces derniers contre les forces de Maximus. Cela dit, la dernière partie de cette première saison semble être le miroir de la prise de pouvoir du frère de Black Bolt ; facile et vite expédié. Quelques intrigues ne sont qu’effleurées (la vision de Maximus au début de la saison où il est terrifié du fait d’apprendre que Black Bolt sache la vérité sur ses parents) et auraient méritées d’être complétées. Sans doute y avait-il quelque chose à prendre pour une seconde saison.

L’univers des Inhumains est vaste et une intrigue plus poussée et tortueuse aurait été appréciable, surtout qu’on ne rigole pas avec la violence dans cette série. On voit du sang, les thèmes abordés sont parfois blindés (système des castes, régicide, des morts à la pelle) et le rendu final fait que le visuel tantôt sombre ne correspond pas à la mise en place d’intrigues qui auraient pu l’être tout autant. Quelques scènes d’action nous permettent cependant de passer un bon moment.

Le rythme est poussif sur le départ pour s’améliorer sur la fin. En même temps, huit épisodes de quarante minutes, c’est vite regardé et on ne trouve étonnamment pas le temps long. La palpitation de la découverte d’un nouveau morceau de l’univers Marvel y est sans doute pour beaucoup, car quand il s’agit d’étendre ce monde déjà bien fourni, c’est toujours un plaisir de faire de nouvelles rencontres super héroïques. 

Errare inhumanum est

Sur huit épisodes, l’intrigue est donc en dents de scie. Si saison deux il y avait eu, sans doute que le niveau serait remonté et que la profondeur attendue serait arrivée. Malheureusement, nous ne le saurons jamais. Il faut donc se contenter de ce que l’on a et trouver pourquoi le constat de cette série a été si mauvais.

Avant de se lancer là-dedans, je tiens à préciser que je m’attendais à nettement pire au vu de ce que j’ai pu lire au sujet d’Inhumans avant son visionnage. Au final, la surprise a été plutôt bonne. La série possède des défauts, sans doute plus que tout autre production du MCU, mais là où je m’attendais à un naufrage avec gros iceberg à l’appui et plusieurs milliers de morts, j’ai remarqué que le bateau coulait mais qu’il y avait assez de canots pour sauver les passagers. Parfois, en s’attendant au pire, on peut trouver du mieux.

Dans le cas de cette série, qu’est-ce qui a réellement cloché ? On peut dire que le MCU possède maintenant un certain nombre de films excellents… mais des séries qui sont un peu à la traîne. Du côté de chez DC Comics, on envoie du lourd avec les séries (Arrow, Flash, Legends of Tomorrow, Supergirl, et j’en passe), mélangeant les univers et les personnages. Si DC Comics parvient habilement à gérer ses séries (mieux que ses films), dans le cas de Marvel, c’est l’inverse. Les films sont tonitruants mais les séries manquent parfois de punch.

Pas évident de gérer un univers étendu qui comprend films ET séries en rendant le tout cohérent. Si des séries excellentes ont pourtant vu le jour chez Marvel (Les Agents du SHIELD, toutes les séries des Defenders), on reste pourtant dans une complexité toute relative pour mettre à niveau des histoires comme celle des Inhumains.

Car cet arc narratif, bien qu’excellent, intéressant et parfaitement intégré dans l’univers des comics Marvel, est difficile à caser dans le présent timing. Les fans du MCU y verront une tentative ratée d’intégrer la famille royale d’Attilan dans l’arc cinématographique et ceux ne connaissant pas le matériau d’origine se demanderont ce que c’est que cet OVNI télévisuel.

Il était donc compliqué de contenter tout le monde en présentant cette série tout en conservant la cohérence du tout. On le voit bien lors du visionnage ; il n’y a pratiquement aucune mention au MCU en tant que tel dans l’histoire qui nous est contée. Inhumans reste donc une épine dans le pied de Marvel. Mais fort heureusement, cela a réussi à prouver que l’immense machine des studios en question n’était pas infaillible. Eh oui, il fallait bien que ça arrive. En ajoutant à cela un budget sans doute moindre et une difficulté à trouver un ton clair à la série, et c’était la glissade assurée.

Mais gardons un peu d'inhumanité

Inhumans possède des défauts, c’est certain. Une analyse plus poussée serait nécessaire pour déterminer toutes les causes amenant la plupart des fans du MCU à ne pas considérer les Inhumains présentés ici comme faisant partie intégrante de ce qui a été mis en place jusqu’à maintenant. Toutefois, comme mentionné précédemment, en s’attendant à une catastrophe on se retrouve avec un rendu global moins casse-gueule que prévu.

Sa durée permet un visionnage dans des temps tout à fait corrects. Les personnages, peu profonds, sont pourtant bien représentés et possèdent un caractère défini pour chacun (principalement l’équipe de bad guys). Les décors et effets foirent parfois, mais cela surprend à certains moments sans être une raison valable de ne pas apprécier le visuel général pour autant. Son scénario est quelconque et ne sais pas s’il faut jouer sur un ton adulte ou non, mais se suit pourtant avec facilité et simplicité.

Non, Inhumans n’est pas une bonne série à proprement parler. On peut pourtant classer ceux qui la regarderont tout comme le fait le peuple d’Attilan ; par caste. Il y aura ceux qui trouveront cela récréatif, relativement frais et permettant d’en savoir un peu plus sur l’univers Marvel. Il y aura ceux qui constateront une banalité affligeante et des erreurs ne permettant pas un suivi sympathique de la série. Et il y aura ceux à qui il ne faudra pas parler de Inhumans visible sur petit écran, ces derniers la reniant jusqu’au dernier plan et ne la considérant pas comme appartenant au MCU.

Dans mon cas, je suis heureux d’avoir pu découvrir ces personnages sur petit écran et en apprendre plus sur les créations de Stan Lee et Jack Kirby. Car même si le rendu final est peu appréciable et que la perspective de jeter tout ça sur la Lune est une possibilité envisageable, n’en reste qu’il y avait une volonté d’étendre encore plus cet univers déjà énorme. Il est temps pour Marvel et ses séries d’écouter les dires d’un sage personnage de DC Comics ; « Pourquoi tombons-nous ? Pour mieux apprendre à nous relever ».

Gueule d'Or n'a pas été maltraité durant l'établissement de cette critique.

Derniers commentaires

13.06 | 05:23

Merci pour le concours

03.04 | 19:28

Merci, bonne soirée à tous. 😊🍀

22.03 | 14:38

super

22.02 | 21:57

En effet cher Critiker 😉 très bonne critique du film, qui me rappelle une discussion... devant la salle du ciné 😅 Mark Wahlberg si j'ose (il manque pas d'air le Beep... Enfin si, mais là c'est Mark)😱

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