Tu m'vois ; tu m'vois plus

Pour que les choses soient claires, un peu d’histoire avant de commencer. En 1897, est publié le roman L’Homme invisible de l’écrivain britannique H.G. Wells. Première adaptation au cinéma en 1933 avec le film éponyme réalisé par James Whale, ce qui propulse notre gaillard transparent au rang des monstres intemporels du studio Universal. Au fil des années, des réalisateurs comme John Carpenter (Les Aventures d’un homme invisible, 1992) ou Paul Verhoeven (Hollow Man, 2000) se frottent au personnage. Puis, en 2020, on nous offre une relecture du roman, écrite et réalisée par Leigh Whannell, déjà scénariste de Saw et Insidious. Cette version moderne va-t-elle nous faire tressaillir ? Ce qu’on ne voit pas, est-ce pire que ce que l’on peut voir ? Ce grand pouvoir implique-t-il de grandes responsabilités ? On parsème de la farine autour de notre canapé pour être sûr que personne ne s’approche et on se lance dans la critique.

NOTE : Je vous conseille de visualiser le court métrage Le voleur invisible de Segundo de Chomón réalisé en 1909. Muet et d’une durée de 5 minutes 30, c’est assez bluffant pour l’époque.

Cecilia (Elisabeth Moss) s’enfuit de chez elle. Elle ne peut plus supporter la tyrannie de son mari Adrian (Oliver Jackson-Cohen), violent et manipulateur. Elle trouve refuge chez James (Aldis Hodge), un ami d’enfance et sa fille Sydney (Storm Reid). Malgré l’annonce du suicide de son mari, Cecilia ressent une présence inquiétante autour d’elle qui commence à semer le trouble dans sa vie. Elle en est persuadée ; Adrian, ingénieur en optique de génie, a trouvé le moyen de se rendre invisible.

Il faut commencer par l’interprétation impeccable d’Elisabeth Moss dans le rôle de Cecilia. Cette femme brisée, torturée psychologiquement par un mari tortionnaire, évolue tout au long du métrage. Passant de victime fuyante à celle qui ose se dresser devant le danger invisible qui se trouve en face d’elle, sa performance à elle seule vaut le visionnage. Son personnage prend en confiance en même temps que son état se dégrade. Du très beau boulot !

Les autres personnages lui emboîtent le pas et suivent le courant en nous offrant de chouettes prestations sans déborder dans un allant qui aurait pu être mal vu dans un métrage comme celui-ci. Ainsi, James et sa fille sont criant de vérité et la sœur de Cecilia, Emily (Harriet Dyer), accessoirement l’ex-femme de James, nous propose un très bon personnage.

Pour une relecture du roman d’H.G. Wells, nous sommes servis ! Ici, l’homme invisible en question s’avère avoir déjà des connaissances en manipulation et en sociopathie, faisant de son imperceptibilité une arme idéale pour mettre à mal ses victimes, ici Cecilia. Le fait de transposer une formule de laboratoire et de la substituer à un élément plus moderne est également notable.

Le film démarre par la fuite de Cecilia du domicile conjugal et se construit ensuite de manière crescendo sans se perdre en route. Les éléments sont apportés les uns après les autres, sans fioritures ni abus d’écran. Chaque indice que trouve Cecilia se fait systématiquement détruire par l’intervention de notre homme invisible, ceci afin de confiner la jeune femme dans un état mental instable et de la couper psychologiquement du reste du monde.

Nous sommes dans une production Blumhouse. Pour les plus aguerris, nous savons que les métrages horrifiques sont leur dada et qu’ils aiment que leur public sursaute à la moindre occasion. Ici, pas d’utilisation de jump scare qui pourrait péjorer une atmosphère bien posée. Au lieu de ça, Leigh Whannell se contente de plans fixes sur lesquels il ne se passe, la plupart du temps, rien. Mais en effectuant une mise en image de cette façon, notre palpitant s’emballe et on s’attend à voir quelque chose bouger à tout instant. C’est donc clair ; ce qu’on ne voit pas nous influe beaucoup plus que ce que l’on voit. L’adage sacro-saint dans les films d’horreur est donc pleinement respecté.

Tout en maniant avec brio les différents effets spéciaux, on se retrouve avec de pures scènes de tension ; le petit-déjeuner préparé par Cecilia, sa première confrontation dans la maison de James, la débâcle à l’hôpital, la soirée au restaurant, tout cela vient augmenter une tension qui reste, elle, visible d’un bout à l’autre du métrage.

La menace ultime est ici invisible, pouvant débarquer à n’importe quel instant, souvent avec fracas et de manière sanglante. Alors que tout semble bien se passer, on peut bondir de la détente à l’horreur en l’espace de quelques secondes, ne voyant pas ce qui va arriver. Contrairement à d’autres métrages horrifiques où le but est de faire augmenter la tension par le visuel, c’est ici l’absence de visuel qui nous fait perdre pied et nous entraîne dans une ambiance glauque et tendue. Le moindre plan dans le vide en devient menaçant.

On s’embarque alors dans ce tourbillon de frissons durant les deux heures de film pour arriver à une fin que l’on ne peut pas clairement appréhender au vu des éléments qui interviennent dans le film. C’est donc avec surprise que nous assistons à la finalité de cette histoire, non sans observer un certain soulagement, à l’instar d’un des personnages.

Invisible Man parle également d’une foule de sujets sérieux et aux conséquences terribles. Etat post-traumatique à la suite d’une relation extrêmement difficile, vie maritale empreinte de violence physique et psychologique, paranoïa, folie, abus supportés, on peut tracer pas mal de sujets abrupts sur notre liste, le tout collant à l’évolution des personnages.

Pour une nouvelle intervention de l’homme invisible au cinéma, on peut dire que Leigh Whannell fait fort. En modernisant l’œuvre et en la transposant dans un 21ème siècle technologique, on constate que l’horreur et les abus sont toujours présents dans notre société malgré les années passées depuis l’arrivée du roman. L’être humain peut-il réellement changer ? Le fait d’avoir la capacité de devenir invisible ne ferait-elle pas de nous des monstres en puissance ? C’est toute la question de l’histoire, tant du livre que du film.

Bon film horrifique en cette année 2020, Invisible Man construit une œuvre bien cossue à l’histoire casée et aux moments tendus. Performance superbe d’Elisabeth Moss, plans vides frissonnants, violence dans les actions, on croirait presque ne pas être seul chez soi à l’issue du visionnage. Avis à tous les amateurs des monstres Universal et de la littérature de S-F de la fin du 19ème siècle, ce métrage vaut la peine qu’on s’y attarde.

Et dire qu’on pensait que ce que l’on ne voyait pas ne nous atteignait pas. 

Derniers commentaires

13.06 | 05:23

Merci pour le concours

03.04 | 19:28

Merci, bonne soirée à tous. 😊🍀

22.03 | 14:38

super

22.02 | 21:57

En effet cher Critiker 😉 très bonne critique du film, qui me rappelle une discussion... devant la salle du ciné 😅 Mark Wahlberg si j'ose (il manque pas d'air le Beep... Enfin si, mais là c'est Mark)😱

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