Alors, del Toro, la forme ?

Plus de 230 nominations et 80 récompenses dont 4 Oscars (Meilleur film, Meilleur réalisateur, Meilleurs décors, Meilleure musique de film) ; La Forme de l’eau se distingue déjà par son incroyable parcours. En se rapprochant pour mieux voir de quoi il s’agit, l’on constate que c’est Guillermo del Toro aux commandes. Réalisateur, producteur et scénariste de talent, il signe ici le scénario avec Vanessa Taylor qui a notamment travaillé sur quelques épisodes de Game of Thrones. Rien qu’avec ces arguments, on se dit qu’on va en avoir plein les mirettes et que ça va faire clairement mal. Est-il possible de faire un carton plein avec une histoire comme celle-ci ? La protection des êtres cryptozoologiques est-elle assez efficace ? Del Toro barbote-t-il ou, au contraire, surfe-t-il sur le succès ? Il est toujours délicat d’émettre une critique sur des films hyper récompensés comme celui-ci. Pourtant, c’est mon devoir. ATTENTION : cet article contient des spoilers

En pleine Guerre Froide, la lutte pour la conquête de l’espace fait rage entre Américains et Soviétiques. Elisa (Sally Hawkins) travaille comme femme de ménage dans un laboratoire du gouvernement américain. Muette depuis son plus jeune âge, elle n’a d’amis que son voisin de palier Giles (Richard Jenkins), un vieil homosexuel, et Zelda (Octavia Spencer), sa collègue de travail afro-américaine. Un jour, les employés amènent une créature amphibie (Doug Jones) capturée en Amérique du Sud par le colonel Richard Strickland (Michael Shannon), personnage violent et ne faisant aucune concession. Peu à peu, Elisa va apprendre à faire la connaissance de l’étrange humanoïde et une relation toute particulière va se mettre en place entre eux.

Il faut le dire ; on a un casting cinq étoiles. Dans le rôle-titre, Sally Hawkins ne mâche pas ses mots (normal, me direz-vous) et se trouve être réellement convaincante dans son rôle. Tout comme l’est Doug Jones, l’amphibien, dès qu’on lui enfile un costume. Ses gestes sont pesés et il donne littéralement vie à cette créature de la même famille qu’un certain Abe Sapiens dans Hellboy (de Guillermo del Toro), également joué par cet acteur. Ensemble, ils forment un duo silencieux mais émouvant. Le « méchant » de l’histoire, Michael Shannon (Take Shelter, Man of Steel) est sadique, brutal et ne recule devant rien pour obtenir ce qu’il veut. Soit dit en passant, son nom de famille étant Strickland, ça m’a fait penser au proviseur de Marty McFly dans Retour vers le futur, et je n’ai pu m’empêcher de me demander si ce n’était pas son fils ; il n’aime pas les tocards, il est fan de la discipline et il sait manier les armes à feu. Richard Jenkins, acteur à la filmographie éclectique, se pose magnifiquement dans le rôle du voisin d’Elisa, sans emploi et profitant des comédies musicales à la télévision. Octavia Spencer est impeccable en Zelda, meilleure amie et collègue d’Elisa, ne manquant pas de punchlines et de ragots sur sa vie de couple. Michael Stuhlbarg (Men in Black 3, Doctor Strange) joue le rôle du Dr. Hoffstetler avec brio, conviction et une touche d’émotion.

Casting hyper sympathique, donc ! Peu de fausse note à soulever, même en cherchant bien. Chaque personnage possède un caractère bien à lui et surtout une histoire. Alors oui ; on ne connaît pas les raisons du mutisme d’Elisa (si ce n’est de profondes cicatrices sur sa gorge), mais cela n’a, au final, pas une importance capitale. Tous ont une vie, des attentes, des rêves et des doutes. Les personnages sont humains, fragiles, crédibles et font l’objet d’une bonne prestation de la part des acteurs.

Coté réalisation, Guillermo del Toro n’a plus grand-chose à prouver. Avec La Forme de l’eau, il confirme qu’il peut effectuer une prise en main de malade tout en conservant son univers à lui. La direction est maîtrisée, les images sont sublimes, les plans excellents, et le tout se suit sans peine, avançant dans l’histoire avec une fluidité qui fait plaisir. Et que dire de la musique qui colle admirablement à l’ambiance, nous transportant littéralement auprès des acteurs pour vivre avec eux cette aventure. L’aspect technique du film est un chef-d’œuvre, ni plus, ni moins.

On le sait, le réalisateur possède sa propre vision des choses, et nous en gratifie dans ses métrages. En appréhendant La Forme de l’eau comme un film parmi d’autres, on risque de se prendre les pieds dans le tapis. Ce film, c’est un conte, comme aime beaucoup mettre en image del Toro. Un conte pour adultes, certes, mais un conte quand même. Ne vous attendez donc pas à du conventionnel ; pas avec del Toro.

Et c’est là que les choses peuvent… diviser. Car ce métrage va dispatcher les avis, principalement par son scénario qui semble ô combien vu et revu, mais qui va oser aller plus loin et franchir certaines limites. On commence le film avec une scène d’introduction léchée au niveau visuel, sur un fond de musique comportant de l’accordéon. Dans les premières minutes, avec la routine d’Elisa qui nous est présentée ainsi que ses différentes relations, on se croirait dans Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain. Seulement, la comparaison s’arrête là et l’effet s’estompe rapidement.

On découvre ensuite l’arrivée de la créature, apparemment violente et asociale. Elisa va rapidement changer la donne en « apprivoisant » la bête et surtout en découvrant qu’elle peut communiquer, notamment par le langage des signes, comme elle. De fil en aiguille, on voit bien que quelque chose se trame entre ces deux là. Et puis, en milieu de métrage, ça commence de bouger sévère.

Condamné à l’euthanasie ou la vivisection (un choix reste un choix), la créature est sauvée par Elisa qui la garde auprès d’elle dans sa baignoire et c’est alors qu’ils démarrent ensemble… une relation amoureuse. Tout cela jusqu’à une confrontation finale en bonne et due forme qui met tout le monde d’accord, finissant sur une note optimiste et un poème récité par Giles qui reprend les thèmes du film.

Le scénario est linéaire mais sympathique car original. Là où les choses peuvent diviser les spectateurs, c’est dans la forme (ironique, n’est-ce pas ?) que cela va prendre. Une femme et un amphibien humanoïde qui consomment leur union dans une baignoire (ou dans une salle de bain remplie d’eau, c’est selon), ça fait un peu… étrange.

« Etrange » est le mot qui va revenir souvent dans La Forme de l’eau. Quelques raccourcis scénaristiques (nécessaires cela dit) vont ponctuer le métrage pour véritablement nous mettre en présence d’un conte. Le contexte dur et historique de la Guerre Froide se confronte à l’imaginaire et aux histoires d’amour impossibles qui finissent bien. On pourrait écrire bien des choses sur ce film, mais c’est là que je vais appuyer.

Tout comme la fracture entre événement historique (Guerre Froide) et conte imaginaire (la relation entre Elisa et la créature), le film semble régulièrement se couper en deux de la sorte. On peut mentionner également la présence de tous les parias autour de l’amphibien (une muette, un homosexuel, une femme noire et un espion) qui vont pourtant s’entraider et travailler ensemble pour le sauver. Contre eux, un homme ancré dans la réalité (Strickland), se gavant de littérature sur la pensée positive et s’achetant la nouvelle Cadillac parce que ça fait bien. Une bande d’artistes face à une icône de la normalité.

Avec La Forme de l’eau, c’est comme si Guillermo del Toro nous disait d’arrêter de se baser sur des conventions toutes faites. Une histoire d’amour, aussi étrange soit-elle, peut surpasser tous les obstacles pour bien se terminer. Une bande de « losers » peut réussir là où d’autres, plus déterminés et plus forts, échouent. Un film avec un budget de moins de 20 millions de dollars peut amasser près de 200 millions et gagner un nombre incroyable de récompenses. La Forme de l’eau, une ode au non-conventionnel, où l’imaginaire, l’amour et l’amitié l’emportent sur tout le reste.

Si le message à faire passer était le suivant, c’est réussi ! Même si on ne s’ennuie pas devant ce film et qu’il reste un grand nombre de symboles à y retrouver, n’en reste qu’il risque de ne pas plaire à tout le monde. La faute à un univers conventionnel affuté de toutes pièces autour de nous depuis des années, ou à une certaine idée que l’on se fait du cinéma ? La réponse se trouve en vous, mes amis. Pour ma part, j’ai trouvé ce message fort touchant, surtout pour un réalisateur qui a su nous démontrer, par le passé, qu’il maîtrisait l’imaginaire et donc le côté qui remporte la victoire… à chaque fois. 

Il faut aussi noter le travail de fou au niveau des effets spéciaux, notamment les décors où l’Oscar a été décroché. La créature, quant à elle, a effectivement des similitudes avec un certain Abe Sapiens, comme mentionné en début d’article. Cependant, la volonté n’était pas d’en faire un même personnage pour éviter les quiproquos. Le design est précis et détaillé, et Doug Jones parvient à faire oublier qu’il s’agit ici d’un costume. 

La Forme de l’eau n’est pas un film conventionnel. C’est même un film… étrange. Il pourra en surprendre plus d’un par ces scènes parfois WTF (le coup de la comédie musicale, la réponse de Zelda lorsque Elisa lui annonce qu’elle a fait zigzig pour la première fois avec la créature), mais reste, inéluctablement, un magnifique métrage, avec une réalisation pointue et une image à couper le souffle. C’est un conte pour adultes visuellement onirique, déballant une histoire impossible au milieu d’une normalité froide, stricte et parfois violente. Conseillé à tous les amateurs de cinéma et à ceux qui n’ont pas peur des histoires d’amour… étranges.

Strickland, il peut aller se faire cuire un œuf.  

Derniers commentaires

13.06 | 05:23

Merci pour le concours

03.04 | 19:28

Merci, bonne soirée à tous. 😊🍀

22.03 | 14:38

super

22.02 | 21:57

En effet cher Critiker 😉 très bonne critique du film, qui me rappelle une discussion... devant la salle du ciné 😅 Mark Wahlberg si j'ose (il manque pas d'air le Beep... Enfin si, mais là c'est Mark)😱

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