La carte la plus forte

Gros succès dans les salles obscures, le film Joker vaut-il l’admiration qu’on lui voue ? Tout fan de DC Comics qui se respecte a dû tressaillir à l’énoncé d’un nouveau film sur le méchant le plus connu de l’univers des comics… et au-delà. Créé en 1940 par Jerry Robinson, Bill Finger et Bob Kane, il s’agit ici d’une icône absolue de l’univers de Batman, pouvant se révéler comme étant un antagoniste proche de la perfection. Je ne vais pas m’étendre sur un comparatif illusoire des différents « Joker » de ces dernières années, mais me centraliser sur le présent film. L’essentiel, c’est de se demander si Joker nous fait passer un moment de cinéma comme il se doit et non de débattre sur la couleur du costume porté par le personnage en fin de métrage. Celui qui a la lourde tâche de nous présenter ce spectacle est Todd Phillips, connu notamment pour la trilogie Very Bad Trip. Va-t-il pouvoir garder son sérieux ? Alors préparez votre plus bel habit, fardez-vous de la meilleure des manières et c’est parti pour la critique. ATTENTION : cet article contient des spoilers

Vu au Cinéma Colisée de Couvet !

Gotham City, 1981. Arthur Fleck (Joaquin Phoenix) est un humoriste cherchant à faire décoller sa carrière tout en travaillant dans une agence de clowns. S’occupant de sa mère Penny (Frances Conroy) durant son temps libre et adulant le présentateur de talk-show Murray Franklin (Robert De Niro), il cherche à « faire rire les gens dans ce monde sombre et froid ». Ses troubles mentaux agrémentés d’agressions furtives et de révélations peu banales sur sa vie vont lentement le transformer en Joker, le Clown Prince du Crime de Gotham.

On dénote une certaine appréhension avant le visionnage du film, consécutivement au fait que plusieurs « Joker » sont déjà passés par là. Sans en faire la liste, il est simplement possible de dire que dans le présent métrage, nous avons une sorte d’hommage aux différentes prestations qui ont été établies jusqu’alors. Le débat pour savoir quel est le rire le plus emblématique du personnage, ce n’est pas pour ici.

Il faut commencer par parler de la prestation exceptionnelle de Joaquin Phoenix. Cet acteur qui aime bien faire des Signes, qui vit dans Le Village et qui n’est pas foncièrement commode s’applique au plus haut point dans le rôle d’Arthur Fleck. Cet artiste aux troubles mentaux évidents, ne pouvant pas s’empêcher d’avoir des fous rires à certains moments peu propices, tient le métrage d’un bout à l’autre. Durant sa lente mais inexorable descente aux Enfers, on le suit avec attention et intérêt à tel point que sa prestation finale nous laisse sans voix, simplement avec les yeux écarquillés et fixés sur une certaine admiration. Sans déconner, Joaquin Phoenix lâche du lourd pour notre plus grand plaisir.

Le rôle est tellement calé qu’il laisse les autres sur le bord de la route. Cependant, on ne peut pas exclure que la présence de Robert De Niro est grandement appréciée. Ce présentateur à l’esprit aiguisé épanche son cynisme aux habitants de Gotham City et ne manque pas une occasion d’écraser les plus faibles. Frances Conroy n’est pas en reste, jouant sobrement mais avec conviction le rôle de Penny Fleck. Brett Cullen se chope le rôle de Thomas Wayne, moins sympathique que l’idée que nous en avions, et Zazie Beetz fait un passage dans la peau de la voisine d’Arthur, un rôle peu déterminant mais utile à la compréhension du personnage principal. Le passage du réalisateur en humoriste est anecdotique mais sympathique.

Car celui qui tient la tête d’affiche (dans tous les sens du terme), c’est bien Arthur, alias le Joker au bout de 120 minutes de film. On démarre ce dernier avec plusieurs scènes nous montrant la vie courante (et déprimante) de cet homme d’âge mûr, cherchant plus que tout à exister. Que ce soit par son travail de clown, face à sa mère ou en prenant des coups assénés par une bande de jeunes dans une sombre ruelle, il ne cherche qu’un peu de reconnaissance. Son handicap (des fous rires intempestifs) ne l’aide pas du tout dans sa vie sociale et il porte sur lui une profonde déprime.

Puis un événement va tout faire basculer. Une prise de conscience totale lors de l’agression de trois types dans le métro de Gotham City, après laquelle il s’en ira danser un brin dans les toilettes publiques. Ce déclic va être suivi de plusieurs révélations pas piquées des hannetons sur sa vie et notamment sur ses origines qui ne sont pas celles qu’il croyait. Au fur et à mesure, nous voyons Arthur devenir autre chose.

Cela jusqu’à un dernier sprint final initié par la visite impromptue de deux de ses anciens collègues et une scène prenante, visuellement et musicalement, sur un escalier se trouvant réellement dans le Bronx, entre Shakespeare Avenue et Anderson Avenue. S’ensuit un passage morbide dans le talk-show de Murray Franklin, une scène dantesque dans les rues de Gotham City et un final tout en poésie dans l’asile d’Arkham. Oui, rien que ça.

Oui, le scénario est rodé, posé, incroyablement synchrone et prenant. On se laisse embarquer dans la destruction complète d’Arthur Fleck pour faire de lui celui que l’on attend ; le Joker. On peut clairement déterminer le film comme étant un drame et comme le dit si bien Arthur lui-même : « J’ai toujours cru que ma vie était une tragédie, mais je me rends compte que c’est une p*** de comédie ».  

Le film possède donc un premier rôle mirifique et un scénario impeccable. Il en va de même pour la photographie. Des plans splendides jouant habilement avec les couleurs pétantes tout en restant dans une sobriété éclatante. La ville de Gotham est grise et terne, la pluie et omniprésente et se balader dans la rue sans arme semble clairement une mauvaise idée. Plus la personnalité d’Arthur se transforme, plus les choses deviennent claires et colorées, jusqu’à en arriver à ce dernier plan baigné de lumière. Bon boulot Monsieur Phillips.  

J’ai souvent râlé (j’aime bien râler…) sur le fait que les origins stories des méchants n’étaient pas forcément nécessaires. Un Michael Myers a beaucoup moins de charisme depuis la sortie des remakes de Rob Zombie. Pourtant, avec Joker, le personnage prend un essor différent et la présence ultime du VRAI Joker en fin de métrage font que même si l’on en raconte l’origine, le bad guy en devient d’autant plus savoureux.

Puisant beaucoup d’idée dans The Killing Joke, roman graphique de l’univers de Batman écrit par Alan Moore et Brian Bolland en 1988, le film nous raconte l’origine du personnage mais fait aussi l’éloge de ce que le Joker cherchait à prouver dans le comics en question ; n’importe quel citoyen peut devenir fou après avoir passé une mauvaise journée. Le scénario qui nous est présenté ici prouve que dans le cas d’Arthur Fleck, c’est totalement possible.

Joker mélange donc plusieurs points de tergiversations ; le problème de la séparation des classes dans les grandes villes, la criminalité, la recherche d’identité, la facilité qu’ont les foules à s’identifier à un mouvement révolutionnaire, l’intégration des personnes souffrant de handicap ; il y aurait sans doute énormément à réfléchir sur un film comme celui-là. Trop pour une critique déjà bien remplie.

On peut noter également plusieurs clins d’œil à l’univers de Batman à commencer par la scène finale dans la rue (Joker et capot de voiture), reprenant l’un des moments forts du jeu Batman : Arkham Cityt, le nom de la psy d’Arthur rendant hommage à l’un des créateurs du Joker ou encore la présence de la célèbre Ruelle du Crime où les parents de Bruce Wayne se font froidement assassiner. Je vous laisse le plaisir de découvrir le reste.

Joker est un film qui parle d’un super méchant, mais pas seulement. C’est une histoire à part entière, une histoire de vie. La carte la plus forte, c’est ce film. DC Entertainment ne nous avait pas habitué à tant d’audace jusqu’ici et vous savez quoi ; moi, j’aime ça ! Que vous connaissiez l’univers de Batman sur le bout des doigts ou que vous pensiez que le Joker est une marque de jus de fruits, ruez-vous sur ce film… et ne gardez pas cet air si sérieux.

S’ils nous font le truc avec chaque méchant de DC Comics, je valide.  

Derniers commentaires

13.06 | 05:23

Merci pour le concours

03.04 | 19:28

Merci, bonne soirée à tous. 😊🍀

22.03 | 14:38

super

22.02 | 21:57

En effet cher Critiker 😉 très bonne critique du film, qui me rappelle une discussion... devant la salle du ciné 😅 Mark Wahlberg si j'ose (il manque pas d'air le Beep... Enfin si, mais là c'est Mark)😱

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