Un froid tétanisant

En 2007 sort le roman Terreur de l’écrivain américain Dan Simmons. Il revient sur l’Expédition Franklin en 1845, laquelle envoie deux navires (le HMS Erebus et le HMS Terror) au nord du Canada pour découvrir le passage Nord-Ouest, route maritime stratégique. En septembre 1846, les deux bateaux sont coincés dans les glaces et on n’aura plus de nouvelles des 129 passagers. Les épaves du HMS Erebus et du HMS Terror ont été retrouvées respectivement en 2014 et 2016. Dan Simmons revient sur ce qui a pu se passer pour ces deux équipages durant les quatre années (estimées) qu’ils sont restés bloqués. Mélangeant faits historiques (l’expédition, les membres de l’équipage, les dates, la mésaventure des conserves, etc.) et fantastique (ce qui n’a pas été consigné dans le journal de bord ou appris par diverses analyses récentes), l’histoire se voit transposer à l’écran en 2018 par la chaîne AMC, possédant déjà une autre série à succès : The Walking Dead. Pour l’adaptation, on demande à David Kajganich de s’en charger, et l’on retrouve quelques noms connus dans les producteurs exécutifs, comme Ridley Scott, David W. Zucker ou même Dan Simmons lui-même. Alors, une série dans les froideurs du Nord, ça en jette ? Est-ce que l’intrigue va couler ? Que s’est-il réellement passé pour les équipages des navires ? En mettant en scène cette histoire, AMC s’assure un show où il y a peu à redire. Larguons les amarres !

En 1846, l’Expédition Franklin est en mauvaise posture. Coincés dans les glaces, le HMS Erebus et le HMS Terror subissent des complications. Le commandant de l’expédition, John Franklin (Ciarán Hinds) doit gérer ses deux capitaine ; celui de l’Erebus, le jeune James Fitzjames (Tobias Menzies) ; et le bourru et borné Francis Crozier (Jared Harris) du Terror. Alors que les équipages s’organisent pour survivre, notamment au froid et à la maladie, une étrange créature entre en scène et se met à décimer les hommes les uns après les autres. Quelle horreur se cache dans ce froid polaire ?

Du lourd, voilà ce qu’inspire cette série. Pour résumer grandement les choses avant de passer à la décortication, un mot peut aisément la résumer ; habile. Tout d’abord, l’histoire reprend des faits historiques avérés et il est donc beaucoup plus intéressant de suivre les mésaventures de ces marins en sachant que le fond est tout à fait réel. Ensuite, l’insertion du fantastique permet la recherche (fictive) d’une explication sur la disparition de tous les hommes des équipages. En mélangeant les deux contextes, on arrive habilement à un résultat glaçant, faisant se confronter l’horreur dont est capable l’être humain et la terreur que peut appliquer le surnaturel. Oui, du lourd.

C’est également le cas concernant le casting qui s’avère prestigieux. Dans les trois rôles pivots de cette série, nous retrouvons tout d’abord Jared Harris, alias le capitaine du Terror, Francis Crozier. Irlandais d’origine, l’Amirauté britannique ne le reconnaît pas vraiment comme un expert en conditions polaires alors qu’il l’est. Interprété magistralement par Jared Harris, on y voit un personnage des plus humains, combattant ses propres démons et étant ineffablement loyal envers ses hommes.

En second, nous retrouvons Tobias Menzies jouant le capitaine de l’Erebus, James Fitzjames. Désigné comme trop jeune par l’Amirauté pour participer à cette expédition en tant que capitaine, il est tout de même choisi. Parlant beaucoup de ses aventures passées (peu nombreuses) et semblant être imbu de lui-même, le personnage va prendre une consistance énorme au fil des épisodes et nous montrer une facette méconnue qui peut apparaître en cas de situations désespérées.

Et pour compléter le trio, nous avons Ciarán Hinds interprétant le commandant de l’expédition, John Franklin. Pourtant jugé trop vieux par l’Amirauté (décidemment) pour participer à cette aventure, il en obtient finalement le commandement. Le voilà responsable de tous les autres membres des équipages, fardeau qu’il semble porter à merveille… du moins jusqu’à ce que les ennuis commencent.

Les trois hommes forts de la série devront faire face à l’un des pires fléaux existant pour ce genre d’expédition ; la glaciation. En peu de temps, les deux navires se retrouvent pris dans  une épaisse couche gelée, sans possibilité de pouvoir avancer. Ne reste qu’à attendre qu’un dégel salvateur vienne les sauver, mais les choses ne vont cruellement pas se passer comme prévu.

Dans The Terror, comme cela a déjà été mentionné, on dose à merveille l’humain et le surnaturel. Pour le premier point, les péripéties sont nombreuses à bord des navires immobilisés ; maladie, problème avec la conservation de la nourriture, accidents, mutinerie, tout y passe. Avec un réalisme saisissant et tous les acteurs complètement dans leur rôle, il est difficile de rester stoïque devant les horreurs subies par les protagonistes.

La violence est pourtant insidieuse, jouant quelque fois sur le visuel sans en abuser, et mettant en avant le fait que l’être humain, dans un univers hostile, reste une créature des plus fragiles. Les pires facettes sont montrées, comme cette profonde envie de survivre qui découle sur des actes de cannibalisme peu ragoûtants. Des personnages, comme le quartier maître Hickey sont magistraux. Dans le cas de ce dernier, il est joué par Adam Nagaitis et son évolution s’avère à la fois surprenante et terrifiante.

Dans les méandres de la bassesse humaine se trouve aussi quelques pépites de lumière qui apportent un éclat particulier à l’ensemble. Ainsi, le personnage d’Henry Goodsir crève l’écran par son interprétation ultra-juste et également grâce à son humanité remplie de conviction, de calme et de justice. La finalité du personnage fait encore grandir le jeu de cet acteur impeccable, Paul Ready, nous octroyant une scène à la fois longue, terrible et presque poétique.

On peut aussi parler de la confrontation avec les Inuits, autochtones maîtrisant parfaitement les lois du Grand Nord et vus, par la plupart des marins, comme des sauvages qu’il faut occire. La prestation de Nive Nielsen dans le personnage de Lady Silence est énorme et apporte une sorte de trait d’union entre les deux peuples… tout en subissant la colère de certains matelots.

Et le surnaturel dans tout ça ? Dans The Terror, y a-t-il de la terreur ? Eh bien si l’on prend déjà en compte l’horreur humaine dans toute sa splendeur, vient s’ajouter à cela une créature pour le moins rusée et dotée d’une capacité de sarclage hors du commun. Les attaques de la bestiole sont brutales et sans concessions, nous donnant des élans d’angoisse à tout instant, ne sachant pas quand elle va passer à l’action. L’origine de la créature est, quant à elle, certes convenue mais tout à fait cohérente avec l’histoire et l’univers de la série.

L’univers… voilà encore une chose à soulever. Le Nord n’a jamais été aussi froid et cela se ressent. Même si les effets apportés à la créature sont bien foutus mais ne font pas toujours mouche, le paysage est splendide et nous met vraiment en condition de froideur. La beauté des derniers rayons de soleil, l’univers glacé, le désert rocheux sans fin, le vent omniprésent, tout concourt à nous placer au cœur de l’intrigue.

Sur les dix épisodes de la série, on ne s’ennuie pas une seconde. Dès le premier, on se retrouve pris dans le scénario et c’est avec délectation et appréhension que nous suivons les mésaventures de ces marins qui ne sont pourtant pas d’eau douce. Chaque fin d’épisode appelle irrémédiablement le suivant et c’est frénétique que nous démarrons la suite, attendant de voir à quels problèmes les hommes des navires devront faire face. Le spectateur est tout comme les bateaux ; pris au piège des glaces… et il lutte tout autant que les protagonistes à l’écran, comme si une singulière osmose s’était mise en place entre les personnages et les visionneurs.

La violence augmente également au fil des épisodes. La tension entre les hommes et leurs commandants y est pour beaucoup, devenant de plus en plus viscérale au fur et à mesure que le temps passe. En même temps, plus de trois ans bloqués dans les glaces, ça doit mettre une certaine rage. C’est vers un final grandiose que nous nous laissons porter, car de toute cette équipe, bien peu vont en réchapper.

La dernière image est sans équivoque, nous montrant que l’homme peut s’adapter à tout… mais que cela à un prix. Il faut parfois admettre que tout ce qui était humainement possible a été fait et que la vie peut continuer, moyennant quelques sacrifices. Cela peut être une main, sa crédibilité ou un amour qui ne pourra jamais voir le jour. Dans tous les cas, le personnage central à la fin du récit fait plaisir à voir, mais on ne peut s’empêcher un petit élan de nostalgie en pensant à ce que ça lui a coûté.

La boucle étant bouclée au dernier épisode, on se dit qu’une deuxième saison, sur le même thème, serait tirée par les cheveux et sans doute inutile. Cependant, si David Kajganich à d’autres idées de faits historiques mystérieux à adapter, et que la réalisation continue dans cet axe-là, on demande volontiers du rab’ ! Une série anthologique reprenant les grands mystères de l’histoire (et pas forcément les plus connus), ce serait juste magnifique.

Et au-delà de tout ça, The Terror nous montre aussi comment se passaient les choses au 19ème siècle. Les découvertes (notamment maritimes) sont légion durant cette période et le monde tel que nous le connaissons a nécessité des sacrifices. L’exemple de ces hommes, morts en cherchant un nouveau passage par le Grand Nord, est frappant. Pour donner encore plus de corps à l’histoire, les dialogues sont géniaux, usant du langage de l’époque tout en restant pertinents. Du grand art !

Reprenant un fait historique et en y ajoutant des explications à la fois plausibles et très portées sur le surnaturel, The Terror reste habile du début à la fin, nous faisant profiter d’une pléiade d’excellents acteurs, de dialogues magnifiquement écrits, d’un design grandiose et d’une histoire à couper le souffle. Embarquant le spectateur dans cet univers froid, la série ne possède pratiquement aucune fausse note et permet de passer un moment d’angoisse délicieux tout en surfant sur une réalité historique encore peu comprise aujourd’hui. Avis à tous les amateurs de grande série, The Terror saura vous satisfaire par son authenticité, son réalisme et sa réalisation maîtrisée.

J’m’en vais mettre un pull avant de choper froid.

Derniers commentaires

13.06 | 05:23

Merci pour le concours

03.04 | 19:28

Merci, bonne soirée à tous. 😊🍀

22.03 | 14:38

super

22.02 | 21:57

En effet cher Critiker 😉 très bonne critique du film, qui me rappelle une discussion... devant la salle du ciné 😅 Mark Wahlberg si j'ose (il manque pas d'air le Beep... Enfin si, mais là c'est Mark)😱

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