Tu pourrais me passer le seau ?

Là, on attaque du lourd. Je tiens à le dire (et je vais sans doute le répéter), ce film n’est pas à mettre sous tous les yeux. Très souvent comparé à Contracted, sorti en 2013, la forme est effectivement la même (dégradation du corps humain) mais le fond est radicalement différent. Le réalisateur, Eric Falardeau, a réalisé deux courts-métrages avant ce film. Expert dans le sujet de la déchéance du corps, il nous propose ici un film ovniesque, montrant la lente et terrifiante déstructuration d’une jeune femme. Quand on sait que le mot « thanatomorphose » désigne les signes visibles des causes de la mort sur un corps, il faut s’attendre à du peu ragoûtant. Public sensible, s’abstenir… ou munissez-vous d’un seau en cas de renvoi désagréable. ATTENTION : cet article contient des spoilers

Laura est une jeune artiste. Vivant dans un petit appartement, aimant faire de la sculpture, elle a un petit ami brutal, des amis peu loquaces et un propriétaire intransigeant. Un matin, Laura se réveille avec une curieuse sensation. Son corps est en train de changer. Jour après jour, ce dernier se dégrade, se met à pourrir, cloisonnant la jeune femme chez elle. Elle est en train de subir une thanatomorphose.

Pas beaucoup à dire sur les acteurs présents dans le métrage. Le petit ami semble loin d’être le type idéal (et crédible) ; les amis de Laura semblent lui être totalement étrangers (moi, une fête comme ça, je me barre direct) ; et les quelques autres rôles secondaires sont moins que convaincants. Non, ici, tout est centralisé sur Laura, personnage interprété avec héroïsme par Kayden Rose. Cette jeune femme tient à elle toute seule le métrage puisque celui-ci repose sur sa propre dégradation. A la fois touchante, flippante et bluffante, il s’agit de la pièce maîtresse du film, les autres personnages étant relégués à une mise en ambiance, sans plus.

Le métrage peut sembler complètement naze, principalement les scènes avec l’intervention d’autres protagonistes que Laura. Cela est totalement normal ; le scénario ici se borne à montrer une jeune femme bien vivante en pleine décomposition. Les interventions du petit ami ou du « très bon » ami ne sont là que pour expliquer les raisons de ce pourrissement et également les conséquences de ce dernier sur l’entourage.

Pourrissement d’ailleurs fichtrement bien présenté à l’écran ! Après la visualisation d’un certain nombre de films d’horreur (j’ai arrêté de compter), peu sont parvenus à me donner une certaine nausée. Celui-ci y est parvenu. Les effets de maquillage sont dantesques et nous présentent une décomposition plus vraie que nature, avec tout le processus qui va avec ; perte des ongles et des cheveux, noircissement de la peau, craquèlement de celle-ci, absolument rien ne sera épargné. Crédibilité jusqu’au bout ; Laura prend régulièrement des bains glacés afin de conserver le plus longtemps possible l’intégrité de son corps.

Dans ce film, nous aurons également droit à une exposition des membres perdus par la jeune femme (dans l’idée du musée de Brandon-Mouche dans La Mouche de David Cronenberg), une masturbation franchement dérangeante et un plan terrifiant montrant la jeune femme stoïque, les yeux blancs, semblant regarder dans une éternité qu’elle semble déjà avoir rencontrée. L’insertion d’images criardes sur une musique déchirante vient donner encore plus de corps à une ambiance déjà bien lourde. Tout comme les bains de Laura, le résultat est glaçant.

Nous n’avons pas affaire à un film à proprement parler ; il s’agit clairement d’un film d’auteur. Eric Falardeau souhaite, par ces images crues et criantes de vérité, nous expliquer quelque chose. Mais quoi ? Beaucoup d’hypothèses peuvent être faites au sujet de ce métrage afin d’expliquer les raisons de cette déchéance physique impossible à stopper. Pour ma part, j’ai choisi mon camp quant aux raisons de tout cela.

En début de film, après une séance de sexe particulièrement violente, Laura pose la question à son copain s’il a quelque chose à dire. Il lui répond sèchement « Non ». C’est à partir de ce point-là que tout part en cacahuète. Via une parole de la jeune femme peu après le début de sa transformation, on apprendra qu’elle n’a plus envie de rien. Tout ce qu’elle possède dans sa vie ne semble plus avoir aucun goût et ça, les amis, c’est un signe de dépression.

Par cette affreuse dégradation, Eric Falardeau nous montre ce que donnerait une dépression si elle était physique. La mort envahi petit à petit le corps, le détruisant lentement dans une agonie sans douleur. Différents symptômes seront également présentés durant le métrage comme le fait de ne plus pouvoir se regarder dans un miroir (avec un crevage des yeux en bonne et due forme) ou encore la volonté de vouloir s’en sortir… mais trop tard. C’est donc en tentant de se diriger vers la sortie de son appartement que Laura va littéralement tomber en morceaux.

La violence envers les autres (désolé pour vous, les mecs) et le fait de tout laisser pourrir (que font ces corps au milieu du salon ?) sont également des faits qui peuvent se présenter lors d’une dépression. Laisser Laura seule dans son appartement (unique lieu de tournage) accentue encore cet effet de cloisonnement, avec cette terrible impression qu’il n’existe aucune échappatoire. Le spectateur devient alors prisonnier de cet endroit, en huis-clos avec cette jeune femme se laissant lentement mourir.

En prenant ce film au premier degré, comme n’importe quel autre métrage, vous risquez fort d’être déçus. En revanche, en le regardant comme une métaphore rondement menée par Eric Falardeau, il y a clairement quelque chose à en tirer. Ce n’est pas tant les images dérangeantes (bien que cela permette un coupage d’appétit net et sans bavure), ni les teintes sombres utilisées pour les différents plans qui apportent le véritable effet horrifique. C’est la prestation humaine et réaliste de l’actrice aux prises avec ses propres démons et la manifestation physique de son ennui de la vie humaine qui viendront réellement nous coller la frousse, nous renvoyant, qui sait, une propre image de nous-mêmes.

A ne SURTOUT PAS mettre devant tous les yeux, Thanatomorphose n’a pas de style propre. Dénonçant une maladie de plus en plus présente, c’est le reflet d’une certaine humanité qui se renvoie dans les yeux blancs et vides de la jeune Laura. Dérangeant, se tenant visuellement entre le poétique, le morbide et l’horrible, c’est un métrage qui ne peut laisser en aucun cas indifférent. Amateurs avertis, vous serez servis.

Je pense que ce n’est pas le moment de proposer d’aller se manger un tartare de bœuf…

Derniers commentaires

13.06 | 05:23

Merci pour le concours

03.04 | 19:28

Merci, bonne soirée à tous. 😊🍀

22.03 | 14:38

super

22.02 | 21:57

En effet cher Critiker 😉 très bonne critique du film, qui me rappelle une discussion... devant la salle du ciné 😅 Mark Wahlberg si j'ose (il manque pas d'air le Beep... Enfin si, mais là c'est Mark)😱

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