Géométrie dans la tourmente

Une baffe. Que dis-je ; un uppercut combo side-kick dans la tronche. Voilà l’effet de Triangle post-visionnage. Après les sordides couloirs du métro (Creep) et une balade d’entreprise en forêt (Severance), Christopher Smith réalise ce film en 2009 où une croisière entre amis tourne mal, les forçant à se rendre sur un paquebot abandonné. Les films de navires maudits ne sont pas légion et peu se démarquent. On peut noter Le Vaisseau de l’angoisse de Steve Beck en 2002, mais réussir un coup comme Triangle, ce n’est pas courant. Savant mélange d’ambiance pesante et d’intrigue temporelle, pas besoin d’aimer la géométrie pour se lancer dans l’aventure. Une chose est sûre ; Triangle n’arrondit pas les angles. ATTENTION : cet article contient des spoilers (et pas des moindres, même si je vous préserve de la surprise finale)

Jess (Melissa George) s’en va faire une croisière sur le bateau de son ami Greg (Michael Dorman) avec d’autres invités : Downey (Henry Nixon) et sa femme Sally (Rachael Carpani), Heather (Emma Lung), une amie de Sally, et Victor (Liam Hemsworth), aide de bateau de Greg. Un soudain et violent orage les fait chavirer. Se retrouvant à la dérive, un immense paquebot semble sortir de nulle part pour les accueillir et les sauver. Mais le bateau est vide et une présence malsaine semble rôder dans les environs. 

Dans le rôle principal, nous avons Melissa George. L’actrice est une habituée des ambiances sombres et ténébreuses (Dark City, Mulholland Drive, Amityville, 30 jours de nuit) et elle nous montre ici un potentiel non négligeable. Personnage torturé, prisonnier de sa propre culpabilité ; c’est elle qui créée les événements…et qui les subit. Très beau travail, tout en finesse et en émotion.

On peut en dire autant du reste du casting, bien dans leurs rôles et parvenant à capter l’attention du spectateur. En particulier Michael Dorman, navigateur stylé et, bien malgré lui, victime collatérale de la situation. Liam Hemsworth, le frère de Thor, est aussi bien dans ses baskets, rôdant à l’image sans cabotiner, comme le reste du casting. Niveau acteurs, on part déjà bien.

Ce qu’il faut savoir, c’est qu’à la base, le film devait se passer dans un endroit bien connu ; le Triangle des Bermudes. Cependant, dans le but de pouvoir émanciper son histoire et lui donner une dimension plus forte et surtout moins localisable géographiquement, Christopher Smith a décidé de garder le titre et l’intrigue sur l’océan, sans forcément préciser que le Triangle était à l’origine de tout cela.

Car l’histoire, mes amis, l’histoire de ce film dépote carrément grave ! On démarre gentiment avec une Jess en roue libre, complètement paumée, arrivant au bateau de son ami pour une petite excursion sympathique en groupe. Le navire vogue doucement sur les flots calmes, l’ambiance est bonne (même si on essaie apparemment de caser Greg avec Heather alors qu’il semble en pincer pour Jess) et une belle journée s’offre à cette fine équipe. Puis, c’est le drame.

Une soudaine tempête retourne le bateau de nos protagonistes, les forçant à se replier sur la coque. Sans moyen d’appeler des secours, l’espoir s’amenuise, jusqu’à ce qu’un paquebot débarque de nulle part. Ils sont sauvés ! Que nenni ! Le paquebot en question est totalement vide et des manifestations étranges semblent s’y dérouler. Message avec du sang sur un miroir, victuailles à profusion (et se dégradant relativement vite), présence menaçante, les standards du petit manuel de la mise en tension et de l’horreur, en somme.

A partir de là, le scénario va lentement là où il veut aller et transbahute le spectateur avec lui. On regarde son écran et se demandant ce qu’il se passe et, plus les minutes avancent, plus on se rend compte que c’est une histoire de dingues. DE DINGUES ! Jess découvre alors ce qui se trame vraiment, comprend la manip’ et décide de prendre les choses en mains. La boucle temporelle semble brisée, tout va revenir à la normale et on est presque soulagé. C’était sans connaître les réelles intentions du réalisateur, qui a quand même également écrit le scénario.

Car quand on pense que tout est fini… ce n’est que pour nous en mettre plein la vue une ultime fois. Et c’est là qu’arrive l’uppercut combo side-kick dans notre joli minois, nous propulsant dans la dimension du coi absolu, là où la mâchoire se décroche de telle manière que le menton commence à frotter le sol. Franchement, une cohérence comme celle-ci, il fallait oser le faire… et le réussir. Christopher Smith a fait les deux.

Tout en tension, l’histoire se déroule de manière à nous garder captivé, prisonnier du paquebot avec les autres naufragés. Ce n’est que trop tard que nous parviendrons à en sortir, se rendant compte qu’au final, on ne gagnera pas. Pas plus que Jess, en tout cas. Le posage de l’ambiance peut sembler soporifique dans les premières minutes du film, mais plus on avance, plus on se laisse embarquer dans cette aventure dérisoire, au-delà de la raison et du temps.  

Thriller surnaturel par excellence, on ne passe pas à côté de quelques moments de tension purement horrifique, comme la découverte du mystérieux personnage masqué à la Tueur du vendredi. Ou cette scène visuellement WTF, quand Jess découvre les multiples cadavres identiques de l’une des naufragées, empilés les uns sur les autres, symbole d’une boucle perpétuelle d’une cruauté sans égale. Ou encore quand on découvre que, non, tout n’est pas fini. En regardant ce film, nous vous attendez pas à de l'horrifique pur jus, mais bien à une démonstration de comment manier un scénario pour qu'il vous mène par le bout du nez. 

Le final, d’ailleurs, est violent et sans concession. Tant pour notre cerveau que pour Jess, l’horreur de la situation est presque tangible. D’ailleurs, il existe beaucoup de symbolique dans ce film, et je vous invite à faire quelques recherches si vous souhaitez pousser l’histoire un peu plus loin et découvrir les différentes représentations que nous pouvons retrouver dans le métrage.  

On peut déjà parler du mythe grec de Sisyphe, présent dans le film au détour d’une conversation entre les protagonistes sur un élément décoratif du paquebot. Le paternel de Sisyphe était Eole ; le nom du bateau vide étant Aeolus, cela nous donne déjà un premier indice. Ensuite, Sisyphe fut condamné, dans le Tartare, à faire rouler une énorme roche jusqu’au sommet d’une montagne, le gros caillou redescendant à chaque fois qu’il atteignait son but. Pour l’éternité, se taper une montée de malade en roulant une grosse pierre, ou comment inclure la notion d’éternel recommencement dans Triangle.

Jess, elle en connaît un rayon sur le lourd poids de la culpabilité. Responsable de quelques petites choses pas folichonnes, cette mère devra faire face à la portée de ses actes et à son incapacité à se pardonner, créant ainsi une boucle sans fin de laquelle elle essaie de s’extirper. En plus de nous coller un mythe grec et un scénario de taré, Christopher Smith nous saupoudre le tout d’un film symbolique sur la culpabilité et ses conséquences. Rien que ça.

Les marins confirmés et ceux qui veulent un vrai scénario peuvent regarder ce film sans problème. Avec ce nouveau long métrage, Christopher Smith fait très fort au niveau scénaristique et fort au niveau réalisation. Triangle s’adresse à tout type de cinéphile souhaitant découvrir un métrage avec de bons acteurs, une histoire qui semble (somme toute) banale, mais qui monte crescendo pendant toute sa durée et finit par exploser savoureusement dans son final. Comme quoi, au cinéma, il est possible de boucler la boucle.

C’est pas tout ça mais maintenant, il faut que je m’en remette.

Derniers commentaires

13.06 | 05:23

Merci pour le concours

03.04 | 19:28

Merci, bonne soirée à tous. 😊🍀

22.03 | 14:38

super

22.02 | 21:57

En effet cher Critiker 😉 très bonne critique du film, qui me rappelle une discussion... devant la salle du ciné 😅 Mark Wahlberg si j'ose (il manque pas d'air le Beep... Enfin si, mais là c'est Mark)😱

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