Au-delà des nuages

Que dire… que dire… Jordan Peele est un réalisateur talentueux, adepte des films à tiroirs explorant une foule de thèmes et en les mettant en scène avec intelligence et subtilité. Après l’excellent Get Out (2017) et l’intrigant Us (2019), il revient sur le grand écran en 2022 avec Nope. Étant allé le voir au cinéma Colisée avec des amis, difficile à dire, au moment de sortir de la salle, si c’était excellent ou non. Et comme pour ses autres métrages, Jordan Peele a toute une succession de tiroirs à ouvrir pour découvrir les véritables facettes de son film. Alors, était-ce finalement excellent ? Derrière quel nuage se cache la révélation du film ? Le grand spectacle peut-il être de la partie ? On selle son cheval et on se lance dans la critique ! ATTENTION : cet article contient des spoilers

Au ranch Haywood, à Agua Dulce, on dresse les chevaux pour le cinéma depuis longtemps. Après la mort inexplicable de leur père, qui s’est pris une pièce 5 cents tombée du ciel en plein dans l’œil, Otis et sa sœur Emerald tentent de faire tourner la boutique. Mais une menace venue du ciel va chambouler ce petit coin de paradis.

Il est extrêmement compliqué de résumer Nope. Il faut avant tout préciser que, d’après Jordan Peele lui-même, le titre du film est le sentiment qu’il souhaitait susciter au public après le visionnage. A mon avis, c’est chose faite. En sortant de la séance, impossible de dire si l’on aime ou l’on n’aime pas. Il faut un peu de temps et de réflexion pour découvrir les différentes couches de ce métrage, finalement, franchement bien vu.

Commençons par le casting. Otis (Daniel Kaluuya), taciturne et travailleur, fait de son mieux pour faire tourner le ranch après le décès de son père. Sa sœur, Emerald (Keke Palmer), beaucoup plus vive et loquace, développe une foule d’activités tout en soutenant son frère tant qu’elle peut. On tient ici deux excellents acteurs qui sont bien dans leurs rôles et nous convainquent à chaque passage ; Otis avec sa retenue qui cache un cerveau qui fonctionne à mille à l’heure et Emerald avec sa joie de vivre qui déborde parfois pour donner un ton borderline à l’histoire.

Non loin du ranch se trouve un petit parc d’attractions, Jupiter’s Claim, tenu par Ricky (Steven Yeun). Quand notre Glenn de The Wakling Dead ne s’attaque pas à des zombies, il se frotte à des créatures gigantesques, le bougre ! Angel (Brandon Perea), installateur en électronique, se retrouve au milieu de cette histoire sans réellement comprendre ce qu’il se passe ; Otis Senior (Keith David) apparaît peu mais bien ; et Antlers Holst (Michael Wincott), un réalisateur complètement barré, rejoint l’équipe en fin de métrage pour tenter de capter ce qui se cache dans le ciel.

Dans l’ensemble, une belle brochette de personnages qui colle admirablement bien au cadre et nous fait passer un magnifique moment. Je regrette simplement le manque cruel de background pour la plupart, par exemple, en savoir plus sur la famille Haywood aurait sans doute permis de s’attacher d’avantage aux personnages. Mais ne chipotons pas.

Maintenant que les protagonistes sont là, il faut poser le décor. Nous sommes au milieu de nulle part, à Agua Dulce, et seul le désert et quelques routes s’étendent à des kilomètres à la ronde. C’est incroyable comme le film parvient à faire transparaître cette sensation d’étouffement dans un endroit aussi vaste. A ce titre, la photographie est magnifique et les plans sont majoritairement absolument incroyables.  

C’est dans cet endroit isolé que des choses étranges se déroulent ; coupures électriques très localisées, chute d’objets incongrus et forme gigantesque se baladant dans le ciel, entre autres. Encore une prouesse ; chaque fois qu’un plan est figé sur le ciel, on s’attarde pour découvrir si l’on va pouvoir apercevoir cette menace indescriptible, à l’instar des plans de pièce vide dans Invisible Man.

On suit donc l’enquête d’Otis et Emerald pour découvrir ce qu’est cette chose et ce qu’elle fiche dans le secteur, tentant vainement de la filmer car celle-ci coupe tout ce qui est électronique à son arrivée, laissant planer une bonne petite tension à chaque fois que la lumière se coupe. Plusieurs scènes sont admirablement bien fichues ; le « vidage » de la créature au-dessus de la maison des Haywood, la tension avant l’attaque du spectacle, Otis pris au piège dans sa bagnole ; mes scènes préférées étant indubitablement celles se déroulant lors du carnage du sitcom Gordy & Cie par le chimpanzé ci-avant nommé, remplies de tension confinant au glauque.

Tout cela pour en arriver au climax sur fond de musique western de circonstance, confrontant la menace des cieux avec le frangin et la frangine, l’un sur un cheval et l’autre sur une moto, bien décidés à en finir avec tout cela pour éviter que le monde ne se fasse littéralement bouffer par ce qui se cache dans les nuages.

D’ailleurs, c’est quoi cette chose ? Extra-terrestre paumée ou résidente terrestre bien planquée, la créature dans les cieux a des allures de soucoupe volante avant que l’on découvre qu’il s’agit d’une bestiole affamée qui s’amuse à aspirer chevaux, humains et objets à l’aide d’une tornade pour les digérer ensuite lentement. Vers la fin du métrage, la créature prend des airs angéliques, son design étant basé sur l’animé Evangelion et également sur moults animaux marins (notamment les méduses).

Mais en sortant de la salle, on se regarde, on se demande ce que l’on en a pensé et on répond tous en cœur « Nope ». Il faut un peu de réflexion pour comprendre les ficelles de ce nouveau métrage de Jordan Peele. A noter que lors des débats après le visionnage, nous n’étions pas si loin de la vérité, ce qui prouve qu’au final, le film est aisément compréhensible contrairement à ce que l’on pourrait croire de prime abord.

Ce qui revenait lors des discussions était « Pourquoi le film est segmenté en cinq chapitres, chacun titré par le nom d’un animal ? » et « Pourquoi on nous balance un sitcom avec un singe qui pète une case au milieu de tout ça ? », renvoyant au personnage de Ricky par la même occasion. Eh bien, tout cela fournit l’explication recherchée.

Le dressage des chevaux pour le ciné et la télé au ranch des Haywood ; l’enfant-star Ricky qui survit au massacre de Gordy et qui ouvre un parc d’attractions ; la volonté de filmer la créature pour ensuite partager la découverte au monde entier ; dans chacun des aspects, la notion de spectacle est présente. Ce que l’on nous présente est donc principalement focalisé sur la notion du spectacle et notre lien avec celui-ci en tant que spectateur. La créature n’est hostile que si on la regarde et là, tout commence à faire sens, usant notamment des personnages d’Otis et Ricky pour imager cela.

D’un côté, Otis, travailleur, patient, connaissant le dressage et sachant que les chevaux restent des animaux et que les élever demande du temps et l’établissement d’une relation permettant le respect entre humain et animal. De l’autre, Ricky, survivant d’un massacre, ayant réussi à « domestiquer » le chimpanzé pour éviter de se faire mettre en pièce, souhaitant réitérer l’exploit avec une créature céleste gigantesque pour le spectacle, ceci de manière brutale et sans prendre en compte qu’il est face à une bestiole peu commode.

Le respect d’un côté, le show-biz de l’autre. Dans les deux cas, nous, spectateurs, ne pouvons détourner notre regard de ce qui nous est présenté, que cela soit horrible ou non. Qu’il s’agisse d’un plan magnifique d’Agua Dulce sur fond de ciel bleu ou de pauvres humains se faisant bouffer par la créature, nos yeux restent bloqués sur ce spectacle cinématographique.

Pour résumer, Nope nous fait une allégorie du spectacle et c’est à nous, spectateur, de choisir ce que l’on veut voir ; un film que l’on considère comme bâclé parce que ne contenant pas la tension, l’action, l’horreur ou le résultat attendu ; ou un film franchement bien foutu si l’on prend le temps de le comprendre et si l’on respecte les codes s’y trouvant. Autant dire que chaque jour, cette impossibilité à détourner nos yeux du spectacle de la vie s’applique aussi.  

Il existe bien d’autres thèmes traités, notamment tout le parallèle biblique qu’il est possible de faire (notamment avec le verset inscrit en début de métrage), ainsi que les traditionnelles notions de famille, de sacrifice et de société que l’on peut y retrouver. Pour ce qui est de la symbolique du puits en fin de métrage ou de la chaussure qui tient debout toute seul lors de la scène du pétage de plomb de Gordy, je vous laisse cogiter et vous faire votre avis. C’est aussi ça ce que nous propose ce film ; l’interprétation de son contenu.

Possédant un talent indéniable pour le cinéma, Jordan Peele nous offre Nope, peu conventionnel certes, mais qui va sans doute chambouler la moindre parcelle de votre cerveau. Avec des acteurs comme il faut, une photographie magnifique, des situations tendues, des thèmes nombreux et le tout ennuagé de mystère, c’est un film qu’il faut voir et prendre le temps d’apprécier les jours suivants. Autant j’étais dubitatif en sortant de la salle en murmurant « Nope », autant maintenant je pense qu’un « Wouah ! » serait de circonstance.

Et méfiez-vous de ce qui se cache dans les nuages…  

Derniers commentaires

13.06 | 05:23

Merci pour le concours

03.04 | 19:28

Merci, bonne soirée à tous. 😊🍀

22.03 | 14:38

super

22.02 | 21:57

En effet cher Critiker 😉 très bonne critique du film, qui me rappelle une discussion... devant la salle du ciné 😅 Mark Wahlberg si j'ose (il manque pas d'air le Beep... Enfin si, mais là c'est Mark)😱

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