La peur, c'est compliqué

Takashi Shimizu est bien connu chez les amateurs de métrages nippons horrifiques. Réalisateur des Ju-on ainsi que de leurs remakes américains The Grudge, il s’est rapidement imposé comme étant un type capable de réellement coller la frousse aux spectateurs. Tout naturellement, en 2004, lorsque sort Marebito, on est tenté de savoir ce qu’il a fait avec ce film, tourné en seulement huit jours. De plus, l’axe principal de ce dernier serait la découverte de la terreur ultime. Bien, bien. ATTENTION : cet article contient des spoilers. 

Masuoka est un caméraman indépendant, ne se déplaçant jamais sans son outil de travail. Un jour, il filme inopinément le violent suicide d’un homme subjugué par une terreur sans nom. Obsédé par le regard pétrifié du suicidaire, Masuoka va descendre dans les souterrains de la ville à la recherche de réponses. Après un périple dans de sombres couloirs, il va découvrir une jeune femme, nue, enchaînée à un mur. Il va alors ramener cette trouvaille à son appartement pour en savoir plus sur celle qu’il a surnommée « F ».

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, Marebito est un film qu’il faut appréhender avec un certain recul. En se lançant dans le visionnage, sans préparation préalable, on risque de ne rien comprendre et de se retrouver dans le flou le plus total. Car un des points forts du film, c’est de ne pas tomber dans la simplicité scénaristique. L’explication finale n’existant pas et n’ayant jamais été révélée par Takashi Shimizu, on ne peut se baser que sur ce que l’on voit pour en tirer nos propres conclusions.

Car des conclusions, on peut en tirer un sacré paquet ! Personnellement, je pencherais pour l’état métaphorique total dès le moment où le regard de l’homme qui se suicide croise celui de Masuoka. A partir de là, on entre dans un système de scénario nous présentant une suite d’images toutes de connivence avec l’état psychologique de notre cher caméraman. On peut notamment citer la descente dans les souterrains (introspection), la découverte de « F » (découverte des pulsions), la tentative d’apprentissage de la vie à cette dernière (tentative de refouler lesdites pulsions) et l’apparition d’un être étrange avec lunettes sombres et chapeau (la conscience qui finit par se transformer en folie).

La force de Marebito est justement dans ce traitement complexe qui nous amène à aller plus loin qu’un simple film d’horreur. La critique du voyeurisme y est également très présente, à tel point qu’on aurait presque parfois l’impression de se retrouver dans un found footage. Vous qui pensiez regarder un Shimizu pour vous coller une bonne trouille et ne pas avoir à réfléchir, c’est raté.

Pour le rôle principal, nous avons Shinya Tsukamoto alias Masuoka, caméraman ravagé et dépressif faisant de sa caméra un prolongement de lui-même. Intéressant de constater que Tsukamoto est lui-même un réalisateur japonais (Tetsuo et Nightmare Detective entre autres) et que le fait de filmer un réalisateur donne, là aussi, une métaphore toute particulière. Impeccable dans le rôle de celui qui glisse lentement vers la folie, il parviendra à nous inquiéter à plusieurs moments. Pour le seconder, Tomomi Miyashita joue « F ». Jeune fille étrange, ne parlant pas, se situant entre le vampire et l’animal, elle nous offre une prestation à la fois flippante et poétique.

La complexité qui fait la force de Marebito… est aussi l’une de ses faiblesses. En visionnant un métrage comme celui-là, beaucoup se sentiront grugés (pour ne pas dire « grudgés ») par le scénario n’offrant pas de réelles réponses. Pour obtenir satisfaction, il faudrait effectuer une analyse complète du film, ce que je ne ferai pas ici, notamment par manque de temps. Du coup, ceux qui s’attendaient à tressaillir sur leur canapé avec la révélation de la terreur ultime devront mettre leurs rêves au placard et faire marcher les turbines pour découvrir où Shimizu voulait en venir.

Autre point faible ; l’image. Oui, on a parfois l’impression de se retrouver dans un found footage… ou plutôt une machine à laver. Cela donne clairement un aspect réel non négligeable au film, mais également quelques nausées et surtout une envie pesante de faire lâcher la caméra à Masuoka à plusieurs occasions. Au détour d’une scène, un passant dans la rue viendra nous libérer de cette pulsion en faisant effectivement tomber l’appareil en question.

Sans compter quelques longueurs parsemées dans le métrage. Ces dernières sont clairement normales vu que le film a été réalisé presque de manière documentaire, laissant la voix-off de Masuoka nous exposer ses points de vue. Durant ces passages, nous aurons le loisir de réfléchir sur la complexité du métrage… ou d’aller nous rechercher une bière au frigo.

Pour parfaire le film, nous aurons droit à quelques allusions sur d’autres œuvres, notamment littéraires. Les Deros sont des créatures créées par l’écrivain américain Richard Sharpe Shaver et ont une place toute particulière au cours du film. La notion de « terre creuse », également présente, renvoie à plusieurs écrits de science-fiction (ou scientifiques) sur le sujet. L’arrivée de Masuoka dans les ruines des souterrains m’a un peu fait penser au roman Les Montagnes Hallucinées d’H.P. Lovecraft, nous balançant dans un irréel complet. On voir que Shimizu possède une bonne étendue de connaissance et qu’il veut en faire profiter via ce métrage.

Marebito risque d’en rendre fou plus d’un ! Bien que la forme parte parfois en cacahuète, le fond reste des plus intéressants et nous amène à se demander ce qui serait le plus terrifiant pour nous. Au final, dans ce film, on pourrait prétendre que la perte d’un être aimé (ou du seul être aimé) est une raison suffisante pour avoir un regard empli de la plus noire des frayeurs. Complexe et bien foutu, Marebito est à ne pas mettre sous tous les yeux et offre un cinéma d’horreur à plusieurs étages dans lesquels notre cerveau déambule pour trouver une issue. Intelligent. 

Derniers commentaires

13.06 | 05:23

Merci pour le concours

03.04 | 19:28

Merci, bonne soirée à tous. 😊🍀

22.03 | 14:38

super

22.02 | 21:57

En effet cher Critiker 😉 très bonne critique du film, qui me rappelle une discussion... devant la salle du ciné 😅 Mark Wahlberg si j'ose (il manque pas d'air le Beep... Enfin si, mais là c'est Mark)😱

Partagez cette page